Saintonge et estuaire girondin, un carrefour monétaire et culturel au second âge du Fer

La Société d'archéologie et d'histoire de la Charente-Maritime accueillait Eneko Hiriart, docteur en archéologie et chercheur au CNRS, pour parler du rôle central du territoire santon, et particulièrement de l'estuaire girondin, durant les trois derniers siècles avant notre ère. Le chercheur s’appuie sur sa spécialité : l’analyse de la circulation monétaire.

Le docteur en archéologie Eneko Hiriart est le grand spécialiste de la monnaie au second âge du Fer dans la région Nouvelle Aquitaine

Chercheur au CNRS, spécialisé en archéologie et en numismatique, Eneko Hiriart s'intéresse particulièrement aux monnaies anciennes et aux sociétés de l'Europe celtique. Titulaire d'un doctorat sur les pratiques économiques et monétaires entre l’Èbre et la Charente, du Ve au Ier siècle avant J.C, il étudie l'apparition des premières monnaies et leur impact sur les échanges et l'organisation des sociétés celtiques. Le chercheur était invité par la Société d'archéologie et d'histoire de la Charente-Maritime le 14 mars 2025 pour présenter le résultat de ses recherches sur le rôle central du territoire santon, et particulièrement autour de l'estuaire girondin.

 

Dans sa présentation, le conférencier a exploré l'évolution de cette région, depuis l'apparition des premières pièces de monnaie au IIIe siècle avant notre ère, jusqu'à son intégration dans l'économie romaine sous le règne du premier empereur Auguste. Situé à l’embouchure de l’axe Aude-Garonne et ouvert sur l’Océan, l’estuaire girondin se distingue par son caractère unique, oscillant entre frontière et pont culturel. À travers l’étude des monnaies qui ont circulé dans cette région, Eneko Hiriart a retracé les grandes étapes de son évolution économique et culturelle pendant le second âge du Fer. Trois périodes majeures se dégagent : d'abord lapparition des premiers monnayages, inspirés de modèles grecs et macédoniens, marquant les débuts timides d’une économie monétaire ; puis l’expansion et la diversification monétaire au IIe siècle avant notre ère, avec des frappes locales comme les statères picto-santons, témoins d’un territoire politiquement fragmenté, mais économiquement actif. Enfin, c'est au tour de l’après-conquête romaine, où l’intégration à l’Empire transforme profondément les pratiques monétaires et reflète les mutations politiques et sociales.  

 

Malgré les changements successifs, les deux rives de l’estuaire ont maintenu des liens étroits, renforcés par un métissage culturel unique. Les influences combinées du Centre-Ouest de la Gaule, de la Garonne et du littoral Atlantique confèrent à ce territoire une identité à la croisée des mondes. L’estuaire girondin se révèle être un espace en constante évolution, à la fois périphérie et carrefour stratégique, au cœur des échanges de son époque.

 

Des monnaies d'inspiration Grecques

 

Les monnaies arrivent dans le monde celtique dès le IIIe siècle avant notre ère et sont inspirées des Statères d'Alexandre le Grand et de son père Philippe de Macédoine. Les Celtes, réputés pour avoir été des mercenaires au service des Grecques, ramènent ces statères en Europe continentale et commencent à les copier, d'abord fidèlement avant de s'éloigner progressivement du modèle en stylisant de plus en plus les monnaies avec des formes géométriques caractéristiques de l'art celtique. Chaque peuple apporte au fur et à mesure une touche personnelle qui, de la fin du IIe siècle avant notre ère jusqu'au milieu du Ier siècle avant notre ère, permet d'attribuer ces monnayages à des territoires distincts.  C'est ainsi que le peuple qui occupait le territoire Santon voit très tôt apparaître la première imitation d'un Statère de Philippe II de Macédoine à Pons.

Les deux rives de l'estuaire girondin

 

Dans un deuxième temps, les pratiques monétaires se généralisent dès -120/-110. Une monnaie dite "à la croix" se développe sur tout l’axe Aude-Garonne, depuis la Méditerranée jusqu'à Soulac, à l'embouchure de la Gironde. Un autre type de monnaie dite "au cheval androcéphale" se développe sur tout l'ouest de la Gaule, de la Normandie à l'estuaire de la Gironde. Un modèle en particulier, le statère picto-santon, caractéristique avec son cheval androcéphale au-dessus d'une main, est très présent entre la Loire et l'estuaire girondin. Un trésor monétaire constitué de 176 exemplaires de ces statères en alliage d'or a été découvert en 1955 à Chevanceaux (17), accompagné de deux lingots d'or. Plus proche de nous, Eneko Hiriart a identifié des singularités monétaires propres à la Saintonge, pouvant indiquer la présence d'une frappe locale. Mais son analyse de toutes ces singularités fait ressortir une véritable complexité territoriale, avec la présence possible sur le territoire Santon de plusieurs entités ethniques ou politiques. En tout état de cause, le spécialiste distingue clairement une zone d'influence sur le territoire bien plus entendu que sur la simple Saintonge, puisqu'il s'étend de part et d'autre de l'estuaire de la Gironde, jusqu'au Médoc au sud-ouest, et qui descendait au moins jusqu'à Bordeaux et Lacoste au sud. Certains chercheurs, comme l'historien Bernard Petit, estiment que le rôle de ce peuple était clairement de contrôler le circuit économique qui transitait par l'estuaire girondin, reliant le monde méditerranéen à l'Atlantique par l'axe Aude-Garonne

Trésor monétaire découvert en 1955 à Chevanceaux (17), exposé au Musée Saint-Croix à Poitiers

Inv. 994.1.1 à .62 et 2010.4.1 à .116

Rupture après la conquête

 

Le conférencier indique que l'après-conquête marque une rupture, mais aussi un renouveau. Un nouvel afflux monétaire apparaît pendant une trentaine d'années, entre la conquête césarienne et la réorganisation augustéenne. C'est à ce moment-là que se distinguent de petits bronzes nommés CONTOVTOS. Longtemps attribuée aux Pictons, Eneko Hiriart dévoile que cette monnaie est dorénavant clairement attribuée aux Santons. Il explique qu'il pourrait s'agir d'un personnage qui a collaboré avec l'occupant romain et qui aurait obtenu l'administration du territoire. Cette nouvelle monnaie gauloise est influencée par Rome, avec cette louve romaine représentée au revers, la gueule grande ouverte, avec un bucrane sous ses pattes et un buisson en arrière-plan. Le spécialiste révèle qu'une autre petite série est également présente sur le territoire : une monnaie dite "au cheval et au triskèle", vraisemblablement émise en Saintonge dans les années -40 à -20.

Un CONTOVTOS, avec sa louve au revers (image CNGcoins.com) et une monnaie "au cheval et au triskèle" (image CGB)

Article de Romain CHARRIER - 21/03/2025

Source : Conférence de Eneko Hiriart le 14 mars 2025 à Saintes, organisée par la SahCM

Pour aller plus loin :

La circulation monétaire chez les peuples de la Garonne et de la Gironde jusqu’à l’époque augustéenne, Eneko Hiriart, Aquitania, 2009, https://www.persee.fr/doc/aquit_0758-9670_2009_num_25_1_1199

La série “au cheval et au triskèle”, un nouveau monnayage d’origine santone ? Eneko Hiriart, Vincent Geneviève, Thierry Mauduit, Yannick Lefrais, Aquitania, 2018  https://www.persee.fr/doc/aquit_0758-9670_2018_num_34_1_1552

Aux premiers temps de la monnaie en Occident. Pratiques économiques et monétaires entre l’Èbre et la Charente (Ve- Ier s. a.C.), Eneko Hiriart, 2022