
Sanctuaire des Bouchauds : des fouilles pour comprendre la circulation des fidèles
L'archéologue Lucie Carpentier, doctorante à l’université de Lille, auteure d’une thèse intitulée « Sanctuaire en Gaule romaine et environnement », vient de terminer sa campagne triennale de fouilles du sanctuaire des Bouchauds à Saint-Cybardeaux en Charente. Les fouilles devraient être renouvelées pour une deuxième triennale dès 2020. L’objectif de l’archéologue était de mieux comprendre la circulation des fidèles dans l'ensemble cultuel, et en particulier les accès au sanctuaire depuis l'extérieur.
Les deux espaces sacrés du sanctuaire
Le sanctuaire était divisé en deux espaces sacrées, chacun comprenant deux temples et plusieurs annexes périphériques, le tout entouré des murs de péribole et de galeries de circulation. L'archéologue François Thierry l'avait étudié entre 1978 et 1995, se concentrant sur les quatre temples du sanctuaire. Il avait mis au jour un premier sanctuaire composé d’un temple avec un cella carrée et son pronaos, ainsi qu'un deuxième temple avec une cella octogonale. Dans une seconde phase, un deuxième espace sacré a été construit à l’arrière du premier avec deux fana, des temples carrés de tradition celtique. Un trésor monétaire d'environ 300 pièces avait été découvert sous un des temples du premier espace sacré. Ce trésor serait antérieur à la construction des temples. Les pièces datent de la fin de la République, donc un peu avant Auguste qui a fait construire la voie d’Agrippa qui passe à proximité. Le site n’était toutefois pas utilisé par les gaulois, aucune trace protohistorique n’a été mise au jour sur le site, excepté un emballage de chips à l’effigie d’Astérix retrouvé dans une ancienne fouille des années 80.
Recherche des entrées du sanctuaire
L’objectif premier des fouilles programmées de ces trois dernières années était d’identifier les entrées du sanctuaire. Elles étaient supposées à l’est face aux deux premiers temples et éventuellement à l’ouest à l’arrière des deux fana du deuxième espace sacré. L'état des vestiges n'a pas permis de déterminer avec certitude l'emplacement des entrées du sanctuaire à l'est et à l'ouest comme elles étaient supposées, mais un niveau de circulation a tout de même été observé à l'ouest à l'extérieur du deuxième espace sacré laissant supposer un accès. Les traces d'une entrée au sud du premier espace sacré a été mis au jour, permettant un accès au sanctuaire depuis l'agglomération située en contrebas de la colline.
Les galeries à colonnade
L’enceinte du sanctuaire était globalement connue, mais n’avait jamais été étudié de manière approfondie. Les fouilles depuis 2016 ont permis d’améliorer les connaissances de ces murs de péribole et même de mettre au jour de nouvelles fondations. L’ensemble est bien plus complexe qu’on ne l’imaginait au départ en raison des nombreuses phases de construction et d’agrandissement du sanctuaire. La difficulté pour l’archéologue est d’arriver à lire l'ensemble de ces murs pour hiérarchiser leurs constructions et ainsi comprendre l’évolution du sanctuaire. La lecture est parfois rendue difficile par la mise en valeur qui avait été faite sur certains murs, perturbant les vestiges avec des maçonneries reconstruites sans cohérence particulière ou avec un béton recouvrant les vestiges et empêchant sa lecture.
Dans l’angle nord-est du deuxième espace sacré a été mis au jour cette année et pour la première fois sur le site, une base de colonne le long d'un mur de péribole et les fondations à quelques mètres d'une probable autre colonne. Ces éléments indiquent que l’espace sacré était entouré d’un portique, une galerie couverte supportée par des colonnes.
L’espace sacré était en terre battue. Lors de la fouille de cette année a été également mis au jour des espaces recouverts d’un hérisson de pierre et d’une couche de calcaire pilé. Ce sol devait correspondre à un espace couvert dans la cour sacrée, dont la fonction n’est pour le moment pas déterminée. Certaines fondations du mur de péribole présentent également des traces d’enduit rouge. Les enduits n’étaient pas exposés aux intempéries, ils correspondent à la décoration murale de l’intérieur des galeries couvertes entourant l’espace sacré.
Des espaces de circulation couverts longeaient donc les murs de péribole, parfois avec une galerie à colonnade, le sol de cet espace de circulation était à certains endroits en calcaire pilé et les murs étaient recouverts d’enduit rouge.
Mur de soutènement
Le sous-sol du plateau où est construit le sanctuaire est exclusivement argileux. Les fouilles, même à plusieurs mètres de profondeur, indiquent qu’il n’y a pas de roche sur ce secteur (décalcification de la roche à une époque géologique lointaine ?). Par conséquent, les fondations du sanctuaire sont à certains endroits très profondes, en particulier au bord du plateau. C’est le cas à l’angle nord-est du premier espace sacré, juste à côté du théâtre. A cet endroit de la rupture de pente, le mur de péribole a connu plusieurs phases d’aménagement, peut-être suite à un effondrement. Le mur de soutènement mis au jour y fait plusieurs mètres d’épaisseur, avec plusieurs phases de construction bien identifiable, le tout soutenu par plusieurs contreforts.
L'avenir des fouilles
La première campagne triennale de fouilles s’achève cette année et sera probablement renouvelée pour trois nouvelles années. L’archéologue souhaite s’intéresser à un bâtiment annexe du deuxième espace sacré : cuisine ou espace de restauration ? Au sud du plus grand espace sacré, le mur de péribole a été observé lors de sondages avec un système complexe de murs dont l'architecture est presque inédite (seule une architecture similaire a été observée sur un autre site en Gaule Belge). Ce secteur fera l'objet d'investigations approfondies dans les années à venir. A ce jour, seule une petite statuette d’un Mercure avait été mise au jour il y a plusieurs décennies, l'archéologue espère mettre la main dans les prochaines années sur des inscriptions pouvant indiquer quelles autres divinités étaient vénérées ici. Le travail et les mystères à résoudre ne manquent pas pour ces passionnés.
Article Romain CHARRIER - 10 août 2019
Source : Visite commentée par l'archéologue Lucie Carpentier du chantier de fouille du sanctuaire des Bouchauds le 5 août 2019.
Triennale de fouilles 2016/2019 sous la direction de Lucie Carpentier
https://www.sudouest.fr/2019/07/26/ces-vieilles-pierres-qui-parlent-encore-6381905-1075.php
Sanctuaire des Bouchauds : nouvelle campagne triennale de fouilles

L'archéologue Lucie Carpentier dirigeant les nouvelles fouilles sur un espace peut-être lié à la restauration au sein du sanctuaire © RC
L'archéologue Lucie Carpentier, auteure d’une thèse sur les sanctuaires en Gaule romaine, entame cette année une nouvelle campagne triennale de fouilles sur le sanctuaire des Bouchauds à Saint-Cybardeaux en Charente. L'étude se concentre cette fois sur un ensemble de bâtiments dont la fonction pourrait avoir un lien avec un espace de restauration.
Elle avait terminé sa précédente triennale en 2019 sur le thème des accès au sanctuaire des Bouchauds, pour mieux comprendre la circulation des fidèles dans l'ensemble cultuel. Lucie Carpentier avait identifié des chemins d’accès à l’ouest et au sud, découvert une galerie à portique à l’est et les stylobates des colonnes des galeries. Elle avait pu préciser le plan du premier sanctuaire et la stratigraphie conservée dans les angles est (non fouillés par ses prédécesseurs) lui a permis de mieux comprendre l’évolution du site, de la création de cet espace sacré à l’époque augusto-tibérienne, jusqu’à son abandon au IIIe siècle, voire au début du IVe. L’espace sacré à l’est est le plus ancien, avec deux temples romains (un carré, l’autre octogonal). Il a connu plusieurs agrandissements et comportait une galerie à portique. Le sanctuaire s’est agrandi vers l’ouest un siècle plus tard, avec un nouvel espace sacré orné de deux temples de tradition celtique (les fana). L’étude réalisée depuis 2016 lui a permis de déterminer au moins quatre phases de construction et d’évolution du sanctuaire, peut-être même cinq.
Sous la pression d'autres peuples Celtes alliés à Rome, notamment les Eduens (les Bourguignons), Jules César, alors proconsul de la Gaule Narbonnaise, décide d'intervenir et de stopper la migration des Helvètes en 58 avant notre ère en les renvoyant dans leurs contrées alpines.
Une nouvelle campagne triennale
Avec le confinement, 2020 aura été l’année de la réflexion pour l'archéologue Lucie Carpentier. Elle entame cette année une nouvelle campagne triennale qui s’étalera jusqu'en 2023. Deux semaines de fouilles viennent de s’achever cet été, avec une équipe réduite d’une dizaine d’étudiants en archéologie. La nouvelle zone de fouille a été décapée, mettant au jour des murs déjà identifiés par le passé, mais aussi de nouveaux murs inédits. L’étude plus précise commencera l’année prochaine avec la fouille minutieuse des niveaux de destruction sur un mois de chantier, avec une équipe d’une vingtaine de fouilleurs cette fois, jusqu’aux niveaux de sols d’origine.
Cuisine et espace de restauration ?
La nouvelle campagne se concentre donc sur un bâtiment du deuxième espace sacré, situé de part et d’autre du péribole (mur d’enceinte délimitant l’espace sacré). Ont été mis en évidence des murs du bâti déjà identifié lors de précédentes fouilles, mais le décapage plus large de la surface a permis de mettre au jour au moins une nouvelle salle à l’extérieur du mur de péribole, et peut-être encore une autre.
L’archéologue a confirmé au passage qu’il s’agissait bien du mur de péribole et qu’il n’y avait pas de galerie à portique de ce côté du sanctuaire. Le sondage étendu au nord, vers le théâtre, n’a pas identifié d’autre mur de soutènement. Une ouverture de service a été découverte côté extérieur. Les niveaux de sols maçonnés ont été observés ainsi que des niveaux de destructions liés à l’abandon du site : tuiles brisées, murs effondrés. Cette année, le décapage permet de nettoyer ces niveaux de destruction. L’année prochaine, ils seront étudiés et fouillés plus en détail. L’archéologue espère trouver dessous des indices de datation et surtout des éléments permettant d’identifier l’utilisation de cet espace. L’archéologue François Thierry, qui a fouillé le sanctuaire entre les années 1970 et 1990, considérait cet espace comme une conciergerie. Des études plus récentes interpréteraient ce lieu comme une salle de banquet et des cuisines. Lucie Carpentier espère confirmer l’utilité de cet espace lors de la prochaine campagne en juillet 2022.
Une agglomération de confins
Lors des visites de son chantier, l'archéologue précise en préambule que le sanctuaire et son théâtre dominaient, depuis le sommet de la colline des Bouchauds, une petite agglomération antique d’une quinzaine d’hectares située à proximité de la voie impériale d’Agrippa qui reliait Lyon à Saintes. Elle indique qu’il s’agissait probablement d’une agglomération de confins, au même titre que Cassinomagus (Chassenon) ou Luxé. Ce type d’agglomération ostentatoire serait une sorte de vitrine, construite en limite de territoire, financée par les riches notables locaux (évergètes) pour montrer la richesse de leur province.
Si les scientifiques s’accordent sur l’attribution de Cassinomagus au peuple Lemovices et de Luxé probablement aux Pictons, l’attribution des Bouchauds, située au nord d’Iculisma (Angoulême), divise encore les scientifiques (Santons ou Pétrocores ?). C’est également l’incertitude quant au nom de l’agglomération antique des Bouchauds. S’agissait-il du Germanicomagus désigné sur les cartes antiques, entre Cassinomagus et Mediolanum ? L’archéologue Lucie Carpentier déplore malicieusement que ses fouilleurs n’aient pas encore trouvé d’inscriptions explicites, ce qui n’est pas faute de leur avoir demandé.
Article Romain CHARRIER - 25 août 2021
Source : Visite commentée par l'archéologue Lucie Carpentier du chantier de fouille du sanctuaire des Bouchauds le 18 août 2021.
Triennale de fouilles 2021/2023 sous la direction de Lucie Carpentier
Le Picton 266 - Dossier sur les théâtres antiques de Charente
L'agglomération secondaire de GERMANICOMAGVS
GERMANICOMAGUS est une agglomération secondaire qui se trouvait le long de la voie d'Agrippa, une station étape où le voyageur pouvait faire une halte. Le vicus est cité sur la Table de Peutinger sous le nom de SERMANICOMAGO, probable erreur du copiste au Moyen-Âge. Il est communément admis que l'agglomération de nommait GERMANICOMAGVS. Etymologiquement, le mot signifie le marché de Germanicus (magus = marché en latin), il est possible qu’une partie des activités économiques de GERMANICOMAGUS soit liée au commerce.
L'agglomération avait un important sanctuaire au sommet d'une colline qui culminait à 158 mètres d’altitude, dominant l'agglomération. La plateau de la colline, nivelé par l'homme, a vu la construction d'un premier espace sacré dès le Ier siècle de notre ère composé de deux temples, un rectangulaire et un autre octogonal, le tout délimité par un mur de péribole. Puis un deuxième espace sacré sera construit a priori un siècle plus tard à l'arrière du premier ensemble. Ce nouveau sanctuaire plus grand comportera deux temples carrés de tradition celtique, dans une vaste cour sacrée. Il n’a été retrouvé aucune inscription sur l'ensemble du sanctuaire, juste une statue de Mercure en argent doré à la feuille d’or (Mercure est le dieu romain du commerce et des voyageurs). Sur le flanc de la colline a été construit un théâtre impérial monumental de 105 mètres de diamètre, pouvant accueillir jusqu'à 5000 spectateurs. Il date du Ier siècle de notre ère.
En contrebas du sanctuaire a été repéré les vestiges d’un aqueduc se dirigeant vers l'emplacement de l'agglomération. Un vivier où on a retrouvé des coquilles d’huîtres antiques et un puits gallo-romain avait été mis au jour ainsi que les traces de possibles thermes. Le vicus antique a pu être révélé en 1992 par les photographies aériennes de Jacques Dassié. Les photos ont mis en évidence un ensemble d'insulae (îlots urbains) autour d'un grand axe de circulation (decumanus maximus), le tout sur une superficie d'une quinzaine d'hectare. Aucune fouille n'a à ce jour été faite sur cette zone.

Plan de l'agglomération des Bouchauds - M. Fincker - Aquitania Tome 10 - 1992
1 théâtre - 2 sanctuaire - 3 structure avec lits d'huitres - 4 puits antique - 5 grand bassin - 6 thermes - 7 puits saunier - 8 aqueduc
Romain CHARRIER - 30 mai 2014 - Maj 10 août 2019
Sources : Archéologia n°284 novembre 1992 - Archéologie aérienne, Jacques Dassié, p.54, 55