Les thermes dits de Saint-Saloine selon Alain Bouet

Le professeur d'histoire et d’archéologie romaine à l’Université Bordeaux Montaigne Alain Bouet, grand spécialiste des thermes de la Gaule antique, a présenté le 8 février 2020 l'état des connaissances sur les thermes gallo-romains de Saint-Saloine à Saintes. La conférence était organisée par le service Ville d'art et d'histoire de Saintes dans le cadre d'un cycle de conférence autour de l'archéologie à Saintes, et de l'exposition sur les pionniers de l'archéologie. 

Muriel Perrin présentant Alain Bouet, professeur d'histoire et d’archéologie romaine à l’Université Bordeaux Montaigne, grand spécialiste des thermes antiques

Les thermes de Saint-Saloine sont situés dans la partie nord de la ville antique de MEDIOLANVM (Saintes), en bordure de vallon. La plus ancienne illustration du site date de 1714, par l'ingénieur Claude Masse, représentant les vestiges de l'église Saint-Saloine reprenant les murs des thermes avec une conservation estimée jusqu'à huit mètres de hauteur.

 

L'expertise du Père Camille de La Croix est sollicitée pour interpréter ces vestiges vers 1880. C’est lui qui est l'inventeur du site, l'interprétant comme étant des thermes romains. Les premières fouilles menées en 1881 par la Société d’archéologie de Saintes confirmeront la lecture du père de La Croix. Antoine Bouicaud en dressera les premiers plans. En 1904 le site est classé au titre des Monuments Historiques, puis une deuxième fouille est menée en 1906. Viesse dresse alors de nouveaux plans plus complets. Il faudra ensuite attendre Louis Maurin et la fin des années 70 pour avoir une nouvelle lecture du site, puis la publication d’Alain Bouet dans le Aquitania de 2006 pour une interprétation plus aboutie.

 

Trois états antiques successifs

 

Le conférencier Alain Bouet, grand spécialiste des thermes antiques, présente les trois états successifs d'occupation de ce site archéologique :

► 1er état : peu de traces, principalement sous le caldarium, avec les observations lors des fouilles de 1906 de traces de murs, qui n’est pas un bâtiment public mais privé, estimé de la période Augustéenne voire Tibérienne.

► 2e état : fondations de murs en petit appareil sur 33 mètres de long, parallèles au cardo. Un accès est placé au centre et deux contreforts sont situés au nord. Il s'agit probablement d'un monument public, contemporain du cardo. L'abside situé au sud du cardo fait 4,6m de diamètre, conservé sur plus de 2m de hauteur. Cette construction est souvent interprétée comme les fondations d’un pont, étant dans l’alignement du cardo pour traverser le vallon. Alain Bouet pencherait plutôt pour un édifice cultuel. Il avait été découvert au XIXe siècle, à proximité, des inscriptions fragmentaires mentionnant des décurions, l’équivalent des Maires de l’époque, ainsi qu’une titulature impériale gravée sur une plaque de marbre (ex-voto), ornant un possible sanctuaire public (hypothèse de Louis Maurin). Il avait également été retrouvé en 1891 un fragment de pied en marbre provenant d’une statue monumentale estimée à 3,50m de hauteur (statue d’un sanctuaire ?).

► 3e état : Les thermes avec une architecture publique, aménagée en terrasse en bordure du coteau. Beaucoup de remblais au sud, d’où la présence du mur de soutènement avec les niches à exèdres. Il y a dans les vestiges des galeries bordant une palestre, un égout antique, plusieurs exèdres, deux praefurnia, des dalles de caniveau, une cour à portique dans une zone de service, une voie romaine avec un large trottoir à portique et huit cellules (boutiques ou ateliers), un bassin avec probable fontaine au milieu du portique, le long du cardo. Il a également été interprété des latrines estimées à 37 places (deux fois 14 qui se font face et 9 dans un retour) en bordure du vallon, à proximité de l'égout antique.

L’ensemble est daté des alentours des années 70 de notre ère, voire de la toute fin du Ier siècle selon Louis Maurin. Alain Bouet pencherait même pour le tout début du IIe siècle. Des pilettes (pour le chauffage par le sol) ont été observées lors des fouilles à la fin du XIXe siècle, ainsi que des tubuli (pour le chauffage par les murs). Le père Camille de La Croix a restitué dans ses notes le dessin de briques à claveaux, élément formant des arcs et permettant le chauffage également par le plafond, ce qui selon Alain Bouet, est un élément rare dans la région.

 

Trajet conventionnel dans les thermes antiques

 

Le professeur Alain Bouet évoque le trajet conventionnel dans les thermes antiques : Apodyterium (vestiaire pour se mettre nu), Tepidarium et/ou palestre pour suer et commencer à ouvrir les porcs de la peau, Destrictarium (pour se nettoyer huile et strigile), Laconicum, Caldarium (bain chaud pour se détendre, les solia/solium), Tepidarium, Frigidarium (avec piscina pour refermer les pores de la peau), Apodyterium (pour se rhabiller).

Évolution de l'interprétation des vestiges

 

Les traces des thermes de Saint-Saloine s'étendent sur 80 mètres du nord au sud, en terrasse sur le bord d'un coteau. Les vestiges connus ne restituent qu'un plan partiel, leur interprétation globale est donc soumise à hypothèse et peut évoluer au fil de découvertes. C'est le cas avec la mise au jour récente, par l’archéologue Jean-Philippe Baigl dans le cimetière Saint-Vivien, de vestiges de murs et d’hypocaustes dans une tombe située en plein dans le secteur supposé de la palestre, ce qui remet en question les hypothèses et plans d’Alain Bouet publiés en 2006.

 

Ce dernier livre donc aujourd’hui une toute autre interprétation, prenant en compte les dernières observations du cimetière, ce qui selon lui renforce l’intérêt du site. Le plan général des thermes de Saintes ne peut plus être symétrique comme les autres thermes de la région (Barzan, Chassenon ou Limoges), l’espace de la palestre est divisé par deux et le bâtiment thermal doit par conséquent se développer également vers le nord-ouest. Le grand bassin du caldarium doit en réalité être une piscina calida, comme on peut en observer parfois dans d'autres thermes comme à Rome ou ceux de Cluny à Paris.

 

Les hypothèses de la façade monumentale

 

Le professeur d'histoire et d’archéologie décrit la façade monumentale avec ce mur de soutènement à exèdre, composé de trois niches semi-circulaires et deux quadrangulaires (photo ci-dessous). Le caractère imposant de ces niches et l'absence de niches au revers du mur, laisse supposer la présence d'une façade haute de plus de dix mètres avec une ou plusieurs fenêtre(s) monumentale(s).

 

Alain Bouet évoque également son hypothèse de fontaine devant la façade à exèdre. Celle-ci devait, selon lui, être alimentée par des tuyaux de plomb. Il s’appuie également sur d’anciennes observations faites par les fouilleurs du XIXe siècle, d’un sol bétonné devant les thermes, interprété par Monsieur BOUET comme le fond du bassin. Cette hypothèse est remise en question par l’archéologue de la SahCM Jean-Louis Hillairet, qui indique que la maçonnerie d’un tel bassin devrait être enchâssée dans la façade des thermes, ce qui n’est pas le cas puisqu’il n’y en a pas de traces.

 

Après avoir comparé les thermes de Saint-Saloine avec d'autres thermes d’Aquitaine, Alain Bouet conclue son intervention en indiquant qu'ils sont d'un intérêt majeur en raison de leur architecture et qu'ils conservent une part de mystère. Les recherches continuent.

Article de Romain CHARRIER - 24 mars 2020

Conférence d'Alain Bouet du 8 février 2020 à la salle Centrale à Saintes, organisée par le service Ville d'art et d'histoire de la ville de Saintes dans le cadre de l'exposition sur les pionniers de l'archéologie à Saintes.

Photo en entête : Muriel Perrin présentant Alain Bouet, professeur d'histoire et d’archéologie romaine à l’Université Bordeaux Montaigne, grand spécialiste des thermes antiques

Illustrations : Plan des vestiges du quartier des thermes de Saint-Saloine selon les différentes fouilles - Laboratoire de Cartographie Historique - Bordeaux

Représentation des vestiges des thermes et de l'église Saint-Saloine par l'ingénieur Claude Masse - 1714

Façade à exèdres des thermes de Saint-Saloine