Les Santons de José Gomez de Soto

Vendredi 2 décembre 2016 à Vaux-sur-Mer, José Gomez de Soto, directeur de recherche émérite au CNRS, récemment fait chevalier des arts et des lettres, a tenu une conférence consacrée aux Santons et aux autres peuples celtes du grand ouest, organisée par l'ASSA-Barzan. Après une introduction sur nos préjugés sur les Gaulois et sur la présence des Celtes en Europe, le conférencier nous a conté l'évolution de l'art celtique et en particulier le Casque d'Agris découvert en 1981 en Charente sur le territoire des Ecolismiens, très précisément daté du deuxième quart du IVe siècle avant notre ère. Il a ensuite décrit quelques sites Gaulois connus en Charente-Maritime, une tombe à char riche en mobilier funéraire à Tesson, une épée gauloise découverte à Saint-André-de-Lidon, un fossé funéraire fouillé à Muron, l'oppidum de Pons, probable capitale des Santons aux IIe et Ier siècle avant notre ère et l'émergence d'un oppidum à Saintes au cours du Ier siècle avant notre ère, pour terminer par l'implication des Santons dans la guerre contre les troupes de César. En voici le récit..

José Gomez de Soto, directeur de recherche émérite du CNRS, devant le casque d'Agris - Photo © Majid Bouzzit

Idées reçues et histoire des Celtes

 

Il commence par casser nos préjugés du Gaulois hirsute habitant une hutte tirés de l'image d'Epinal enseignée depuis le XIXe siècle dans nos écoles. Ils vivaient dans de grandes exploitations agricoles ou dans des villes (oppida). La représentation du « Gaulois mourant », une statue antique en marbre exposée au musée du Capitole à Rome, est vraisemblablement plus proche de la réalité (cheveux courts, moustache soignée). Ils n'étaient pas blond, mais brun, châtain ou roux comme nous. Ils pouvaient se teindre les cheveux au henné. Seuls les aristocrates portaient une moustache soignée et les chefs ne se hissaient pas sur un bouclier (c’est une tradition des Francs). Ils sont créatifs, ils ont inventé le fer à cheval, la cotte de maille, le vallus pour moissonner le blé, le savon, etc.

 

Le conférencier nous raconte l’histoire des Celtes en Europe, les mouvements lors des grandes campagnes militaires et les conquêtes de territoire : l’histoire de la prise de Rome au IVe siècle avant notre ère (l'épisode des oies du capitole), la prise de Delphes en Grèce au IIIe siècle avant notre ère, les Galates en Turquie au IIIe siècle, la bataille de Verceil au IIe siècle, la guerre des Gaules au milieu du Ier siècle avant notre ère. Il précise qu’en réalité les celtes n’auraient pas migré du centre vers l’ouest de l’Europe comme on l’a longtemps cru, mais qu’il s’agirait plutôt de leur mode de vie qui se serait répandu dans toute l’Europe (même coutumes, même divinités, même organisation sociale et hiérarchique…). Chacun des peuples gaulois seraient les descendant des peuples du néolithique déjà présents sur ces territoires.

 

Les divinités celtes ne sont pas représentées par des statues, les dieux ne peuvent pas être figurés, la reproduction de leur image était interdite car ils n’avaient pas de visage ou les mortels ne connaissaient pas leur visage. Les quelques statues celtes retrouvées sont des représentations de héros, de guerriers ou de notables enterrés dans leur tombe, pas des dieux celtes comme on l’a longtemps cru.

 

Il traite du passage d’une économie du troc à une économie monétaire à partir du IIIe siècle avec la création de la monnaie celte élaborée sur le modèle des monnaies grecques, avec la tête de Philippe II de Macédoine. Beaucoup de gaulois étaient mercenaires pour Alexandre le Grand et auraient pu rapporter en Europe à cette période les monnaies qui serviront de modèle à la monnaie gauloise.

  

Évolution de l’art celtique et casque d’Agris

 

Les premiers casques décorés sont apparus un peu avant celui d'Agris. L’étude et l’évolution des décors permettent une datation précise. Les casques sont souvent constitués de décors végétaux (feuilles de gui, palmettes, lotus), évoluant vers des motifs géométriques indéfiniment répétés, des successions de S, des visages au sommet du casque. Il précise que la forme triskèle reprise dans le folklore Breton était en fait répandue dans toute la civilisation Celte d'Europe.

 

Le casque d’Agris est un casque d'apparat découvert en 1981 dans la grotte de Perrats à Agris en Charente près de La Rochefoucauld, sur le territoire du peuple des Ecolismiens. Il a été découvert dans un dépôt sanctuaire fréquenté du IVe siècle avant notre ère jusqu’au Haut Empire romain. Il est daté très précisément du deuxième quart du IVe siècle avant notre ère, grâce à l'étude et la comparaison des motifs de décoration sur le casque. Le casque d'Agris est en fer, les motifs sont moulés sur des plaques de bronze et rivetées à la coque en fer, le tout recouvert de feuilles d'or et incrusté de corail. L'or est d'une pureté rare pour cette période et viendrait des mines d'or du Limousin, probablement fabriqué dans l'ouest de la Gaule, peut-être à Toulouse selon le conférencier. Le casque d'Agris est le plus décoré connu à ce jour. Il n'est pas complet, il manque un couvre joue (paragnathide) et il était probablement orné de décorations ornementales qu'il qualifie de type "oreilles de Mickey" (trous sur les côtés du casque pour fixer un élément inconnu). Les détails sont très travaillés. Il est exposé au Musée des beaux-arts d'Angoulême. Il précise que d'une manière générale, l'étude des fibules (des épingles à nourrice), dont l’évolution est très caractéristique des époques, permet de dater très précisément les tombes gauloises et donc les casques qui peuvent s'y trouver.

 

Les Gaulois dans l’Ouest de la Gaule

 

Monsieur GOMEZ DE SOTO nous liste les peuples du grand ouest : Les Santons sur l’actuelle Charente Maritime et le nord de la Gironde (ont donné leur nom à la Saintonge), les Lemovices dans le Limousin, les Petrocores dans le Périgord, les Pictons dans le Poitou, Les Bituriges Vivisques en Gironde (sans doute placés là par les Romains pour diminuer le territoire des Santons ). Il nous fait découvrir les « Ecolismiens », petite enclave dont l’oppidum était Ecolisma (Angoulême), entourés par les Santons à l’ouest, les Pictons au nord, les Lemivices à l’est et les Petrocores au sud. Il s’agissait probablement d’un peuple Celte client des Lemovices et pas des Santons comme on a pu le croire auparavant, en raison du nombre de monnaies Lemovices trouvées sur ce secteur. Monsieur Gomes de Soto a réussi à retracer les frontières du territoire des Ecolismiens grâce à l’étude de la toponymie, territoire qui correspondait parfaitement à l’Angoumois.

 

Il aborde brièvement quelques personnages Santons célèbres : Caius Julius Rufus, un important notable gaulois romanisé, cité sur la dédicace de l’arc de Germanicus à Saintes et sur l'amphithéâtre de Lyon, ainsi qu'un autre personnage connu dont le visage a été frappé sur une monnaie après la conquête romaine.

 

Les Santons, les Celtes présents sur le territoire de la Saintonge et qui sont à l’origine du nom de ce territoire, ne seraient pas arrivés au Ve ou IVe siècle avant notre ère comme il a longtemps été supposé. En réalité les Celtes (les Santons comme la plupart des autres peuples) auraient été là bien avant dans l'ouest de la Gaule et se seraient développés en même temps que les Danubiens. Il a toujours été supposé que les celtes avaient migré vers l’ouest pendant la période de la Tène mais il s’agirait plutôt de la civilisation Celte (les modes de vie) qui se serait répandue vers l’ouest, voire peut-être même simultanément grâce aux échanges culturels et commerciaux, aux liens et aux alliances entre les peuples, aux rencontres pendant les campagnes de guerre (d'où l'alliance entre les Santons et les Helvètes par exemple qui auraient combattu ensemble à Verceil et peut-être avant en tant que mercenaires pour les Grecs). Il s’agirait des populations autochtones préexistantes (descendants du néolithique) qui auraient adopté le même mode de vie, le culte des mêmes divinités, les mêmes modes vestimentaires, de céramiques, de monnaies (toutes inspirées du même modèle Grec qui a évolué dans chacun des peuples celtes), etc. Ces peuples à forte identité ont adopté l'évolution d'une même culture à force d’échange et d’entente, permettant à la civilisation celtique de se répandre simultanément dans l'ensemble de l'Europe. De là à dire qu'ils sont à l'origine de la civilisation Européenne...

  

Les Oppida de Pons et de Saintes

 

L’oppidum de Pons était une ville gauloise fortifiée construite en hauteur, un oppidum de type éperon barré, érigé sur un promontoire rocheux dominant la Seugne et la Soute. Cet oppidum, capitale supposée des Santons, a une fortification caractéristique de la civilisation des oppida, son rempart est daté du IIe/Ier siècle avant notre ère, composé de rondins de bois en transversale liés par de longues tiges de fer à d'autres rondins verticaux, recouverts par un parement de pierre sèche en façade et comblé de terre. La conception élaborée en fait un ouvrage quasiment indestructible. L'entrée monumentale était probablement ornée de cranes cloués comme il était l'usage. Une portion du rempart de Pons a été fouillée en 2009. Le tracé du rempart est encore visible à certains endroits dans la topographie du terrain au nord-ouest de la ville actuelle.

  

L'oppidum de Pons a sans doute décliné au Ier siècle avant notre ère et la capitale a probablement été déplacée à MEDIOLANVM (Saintes) qui aurait été la capitale des Santons au moment de la conquête romaine, théorie qui émerge en ce moment grâce à l’étude de céramiques gauloises datée de 90 à 50 avant notre ère à Saintes.

 

Découvertes gauloises en Charente-Maritime

 

Le conférencier nous énumère quelques sites gaulois fouillés et étudiés sur le territoire Santon. L'épée de Saint-André-de-Lidon déposée dans le lit de la Seudre peut-être en offrande ? Sa poignée est en bronze, sa lame en fer à double tranchant, il y a des traces d'incrustation d'or. Son manche est anthropoïde (en forme de corps humain). Elle a été datée de 125 à 100 avant notre ère. Il s'agirait d'une épée d'apparat.

 

Une tombe à char découverte à Tesson avec une épée équivalente à celle de Saint-André-de-Lidon, datée de 75 avant notre ère, trouvée au milieu d’un mobilier funéraire très complet, tout l'attirail du bon guerrier émérite gaulois, probablement un notable. Il s'agit également d'une épée d'apparat réformée, rendue inutilisable comme il était l'usage avec le rite de la destruction des armes et des casques lors de la mise en terre dans la tombe à char, pour ne plus être réutilisés. Ce type d'épée anthropoïde était très répandu dans le monde celte, mais n'a été trouvé que dans peu d'endroits dans l'ouest de la Gaule. Il s'agit donc ici d'une concentration exceptionnelle.  Il parle également d'une fosse fouillée à Muron, datée de la fin du IIe siècle et du Ier siècle avec dépôt d’un important matériel céramique.

   

Les Santons dans la guerre des Gaules

 

Selon Jules César, les Santons auraient fourni 12000 hommes à Vercingétorix pour la bataille finale d'Alésia (autant que les Séquanes et les autres grands peuples du centre de la Gaule). Les Pictons n'en auraient fourni que 8000. L'élite Pictones aurait été pro-romaine, certains Pictons auraient assiégé cette élite à Lemonum (l’oppidum de Poitiers) pendant les années de la conquête romaine. Des bateaux Santons ont été réquisitionnés par César pour mener sa guerre contre les Vénètes (le puissant peuple gaulois de Vannes dans le Morbihan qui dirigeait la fédération Armoricaine). Le territoire de l'estuaire de la Gironde aurait été annexé aux Santons et donné par les Romains aux Bituriges Cubes pour former les Bituriges Vivisques (les futurs Bordelais), peut-être en punition contre les Santons d’avoir si activement participé à la guerre contre César.

Article Romain CHARRIER 15/12/2016

Source : conférence de José Gomez de Soto du vendredi 2 décembre 2016 à Vaux sur Mer, organisée par l'ASSA-Barzan

L'emploi du conditionnel rappelle qu'il n'y a pas de certitude dans le récit de notre histoire, que les propos sont issus d'un travail complexe de recherche, que nos connaissances évoluent à chaque nouvelle découverte et que parfois nos certitudes peuvent en être bouleversées.

Photo en entête de Majid Bouzzit empruntée à la Charente Libre